« L’enfant de la prochaine aurore »

En 2018 apparaissait l’intense « LaRose » de l’indispensable Louise Erdrich. En 2020 apparaît le magnétique « L’enfant de la prochaine aurore » (« Future home of the living God »), traduit par l’indispensable Isabelle Reinharez.

Après l’enfant qui panse les blessures des adultes, voici l’enfant qui n’a pas le droit de naître, une dystopie qui nous plonge dans un monde fait de beautés, d’angoisses, d’intégrisme religieux, de dictature, de propagande, de résistances et de mémoires ancestrales. Au sein de cet univers littéraire il y a notamment Margaret Atwood, il faut compter maintenant sur la puissance de frappe de Louise Erdrich.

Ce roman m’a rendu électrique, effarée, habitée par Cedar Hawk Songmaker, par Tia, Sera, Trésor, Mary Potts, Little Mary, La Mère. L’auteure a commencé cette histoire en 2002, avant d’y apposer le mot final en 2016. Louise Erdrich nous rend son épopée, son chant de fin d’un Monde et c’est bouleversant.

Cedar est une jeune Indienne adoptée par un couple de Blancs de Minneapolis, Sera et Glen. La jeune femme reste en demande de ses origines premières tandis que notre monde vacille. Une « dégénérescence » qu’Erdrich distille, une fin qui nous effleure, s’insinue, et donne une puissante atmosphère à son ensemble.Tu te prends à ce « jeu », cette fausse gentillesse, cette surveillance de plus en plus écrasante, la manipulation qui s’opère en douce. Génétiquement, nous nous transformons, Cedar y apporte sa clairvoyance, sa jeunesse, sa foi en ce qui pousse en elle : un être qu’elle désire profondément, que cette nouvelle société ne veut pas.Les femmes enceintes sont alors recherchées, dénoncées, trahies, enfermées dans des hôpitaux d’où aucune ne ressort. Et tu sauras.

Ce sont un peu comme la vie et la mort d’étoiles, c’est comme cela que je l’ai ressenti.Parce que ce livre te pose dans un autre espace-temps, différent certes, mais le même, pourtant, à certains égards. Car Louise Erdrich empoigne la question de la maternité, sa beauté, sa férocité et ce contrôle que les Hommes continuent d’exercer sur les corps féminins. Parce que le cœur de « L’enfant de la prochaine aurore » est là : contrôler le cycle des naissances, déterminer le « Bien » et le « Mal ». L’auteure, allemande du côté du père et Ojibwé du côté de la mère, prend cette thématique à revers et confronte la religion et ses extrêmes. Dans le roman, « la Mère » s’insinue en tout, appelle ses « petites » à raison gardée: ne pas garder l’enfant, rejoindre ses églises et rebâtir une société de l’Avant, celle où le code génétique n’était pas encore menacé.

Et j’ai suivi Cedar dans sa résistance, happée par son histoire car ce roman se vit, littéralement.À travers son héroïne, Louise Erdrich pose la question de cette liberté, du pouvoir féminin, de l’affranchissement des normes socialo-religieuses, du genre qui importe peu et de l’Être qui se doit d’être.

Trois entités hantent son roman : Marie, Kaveri Tekakwitha et Hildegarde de Bingen. La première est l’image même de la virginité, porta (tout de même) Jésus en son ventre durant deux mois, sept mois, ou à terme selon les différents textes, puis disparaît. La seconde, jeune Mohawk, orpheline à quatre ans, au moment de l’arrivée des Blancs sur son territoire, est la toute première autochtone d’Amérique du Nord a être canonisée. Elle refusa un mari imposé, rentra en religion, mourut à vingt-quatre ans. La troisième était mystique, passa sa jeunesse « enfermée dans un abri de pierre », fut considérée comme la première naturaliste d’Allemagne, fut aussi médecin, voyante, guérisseuse, créatrice de la « Lingua Ignota », un autre langage avec son propre alphabet.Ces trois destinées font résonner leurs voix dans la construction de ce roman, elles lui donnent sa texture, son identité, son paysage.

Louise Erdrich détourne leur culte et les fait retourner à leur source première de Femmes. Ainsi, par « L’enfant de la prochaine aurore », l’auteure se dévoile dans sa profondeur. C’est une insoumise, une veilleuse du Futur, une âme attentive à la connaissance, revêche à l’ignorance, de celle qui aime faire réagir. Ce qui fait de son héroïne, un être commun et exceptionnel.

« Je le sens, là. Le froid qui envahit mon corps, sa clarté. Le ciel déversait de la neige en abondance(…) les flocons tournoyaient autour de nous, tombant toujours plus vite. Il y avait des oiseaux, des oiseaux frénétiques(…)Des merles frigorifiés qui lançaient des trilles tandis que la neige s’accumulait, flocon après flocon. L’air s’est figé et la neige a pourtant continué de tomber. Des gens déambulaient, pareils à des ombres blanches, et leurs voix étaient les cris d’enfants perdus. »

Un grand roman de cette Rentrée hivernale, d’une intensité grave et magnifique.

Coup au cœur absolu.

Fanny.

2 réflexions au sujet de « « L’enfant de la prochaine aurore » »

  1. Ah Louise Erdrich ! Direct dans ma PAL ! Comme tous ses précédents ouvrages. C’est une grande dame.
    Bon Fanny tu sais que tes si beaux commentaires vont me manquer, tu le sais ?

    • Oh Grand Merci Jean-Pascal. Toutefois je continue(rai) à chroniquer avec l’équipée d’Aire(s) Libre(s), et puis si tu passes dans le coin, n’hésites pas à le dire, se sera un vrai plaisir que celui de te revoir. Bien chaleureusement vers toi.

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