« Indice des feux »

Pour te dire, j’aime ça les nouvelles, prendre le pouls d’un recueil. C’est d’une grande exigence aussi, chaque histoire étant porteuse d’un univers, d’une ambiance, tout en ayant une cohérence dans son Tout. Alors voilà, « Indice des feux » d’Antoine Desjardins est le meilleur recueil de nouvelles lu depuis un « boutte ».

Le titre peut te faire penser à cette estimation du risque d’occurrence d’un désastre écologique; c’est le cas. Et à l’intérieur, sept nouvelles qui te prennent au cœur et ne te lâchent pas.

L’auteur a une manière flamboyante de te dire l’Humain, de replacer l’Être au centre d’une tourmente, d’une matrice, d’une mort, d’un échouage, d’une révélation, d’une aventure, d’un bel héritage.« À boire debout », « Coupler », « Étranger », « Feux doux », « Fins du monde », « Générale », « Ulmus Americana ». Sept histoires qui t’accrochent au vivant, te disent l’Essentiel, te font virer de bord, te glace le sang, te font sourire, te souvenir, puis monter des larmes d’émotion.C’est à te mettre entre les mains en te disant de prendre ce temps là, de lecture et de respiration. Parce que dans cet « Indice des feux », j’ai aussi aimé la hiérarchie des nouvelles, comme si tu t’enfonçais de plus en plus « en nature », sa générosité même, certes inconditionnelle mais qui ne peut être éternelle puisque l’Homme tente à détruire son nid.

Pour « Fins du monde », Antoine Desjardins pose en exergue une citation de Pierre Bergounioux :« Nous sommes pareils à des ensevelis après que la terre a tremblé. Nous tâchons à nous extraire de la ruine d’un siècle. Nous trébuchons parmi les piliers abattus des grandes espérances. »

Au milieu de ces fins, des étincelles de vie, résolument belles, à relire, contempler, méditer puis les faire vivre en soi.« (…)Notre relation au monde. Notre manière d’interagir avec lui, de l’habiter et de l’accueillir. De le sentir, de le concevoir. Notre habilité à le lire, à le percevoir avec acuité. (…) Notre façon de l’envisager. Le respect qu’il nous inspire. (…) Je te dis Cédric. ça ne sert à rien d’essayer de sauver la planète, les océans, la forêt amazonienne ou les koalas. Ce qu’il faut sauver… ce qu’il faut rétablir, soigner, rapiécer, c’est notre relation au monde dans lequel on vit trop souvent en surface, sans y être vraiment. Sauver notre relation à la nature, au vivant, parce que tout le reste en dépend. Tu me suis? »

Tu prendras ce livre contre toi et tu suivras cet ado qui veut aller au delà de la douleur et du côté larmoyant des Autres, tu écouteras battre le cœur des baleines, ces majestueuses « Right whales », pendant qu’un couple apprend la vie, tu trébucheras en compagnie de cet homme saoul qui retrouve un chemin n’étant définitivement pas le bon, puisque la sauvagerie n’est pas forcément celle que l’on trouve dans les yeux jaunes d’un coyote, tu seras ému(e) par deux frères et sauras que l’avenir devra peut-être sa survie aux canards boiteux, tu retrouveras ton enfance en pédalant sur les chemins de traverse, tu auras les foies, tu auras la rage, puis tu finiras envelopper dans les bras d’un grand-père puis d’un Orme d’Amérique, celui qui déploiera tout son talent pour t’atteindre en plein dedans.

« Une histoire de solitude. De solitude, de patience et d’amitié. »

C’est tellement intense à lire, à faire palpiter en toi.« Indice des feux » fait passer la lumière dans les failles de notre histoire à la Terre, de notre lien au Vivant. Il est juste indispensable que tu ailles le quérir afin de le laisser résonner en toi.

Coup au cœur puissant.

Post-scriptum : Et, s’il te plaît, va au-delà du genre, du « oh non moi je suis plutôt roman » parce que ce serait franchement dommage de passer à côté pour si peu.

Fanny

Une réflexion au sujet de « « Indice des feux » »

  1. Absolument d’accord , même si les nouvelles ne sont pas un genre prisé dans l’hexagone , à tord , ce genre recèle de vraies pépites . Je viens de terminer « La rivière en hiver » de Rick Bass un recueil de nouvelles d’une des plus belles plumes du nature-writing . Et juste avant le fulgurant « Chambres Noires » de Karine Giebel , des nouvelles très noires mais aussi très sociales . Karine Giebel est une grande dame qu’on se le dise !

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