« Le Démon de la Colline aux loups »

Pour tout te dire, je l’ai lu d’une seule traite et cela a été difficile d’émerger de ce livre. « Le Démon de la Colline aux loups » tatoue l’esprit, il ne peut en être autrement.

Du temps. Il m’a fallu du temps pour écrire et te dire que c’est une pépite, mais une pépite d’une noirceur absolue. Pourtant, rien ne pourra te faire quitter Duke. C’est lui qui te raconte son histoire.

Duke est un enfant sauvage, son « nid », sa matrice est celle des corps nus, chauds et rassurants de ses frères et sœurs. La première fois qu’il ose pousser la porte de cette pièce, où aucune lumière ne passe, c’est pour y recevoir une gifle de la part d’une femme vêtue salement de blanc. Sa génitrice devenue forme enfantine de la méchante sorcière. Là ne sont pas les monstres, là sont les Hommes.

Duke, qui ne sait même pas son propre prénom, te raconte son histoire, avec ses mots. Cela pourrait te crisper, ces mots qui sortent de cette bouche, bouche comme celle du Lennie Small et John Steinbeck. Sauf que Duke n’est pas bêta, il sait. Un jour, il éclate les dents d’une petite teigne de la récré, Duke a un démon en lui qu’il va falloir brider pour ne pas recommencer l’horrifique schéma familial.

Duke subit le viol de son géniteur. Il subit, ne se guérit pas, subit pour, à un moment, montrer ce que ses mots ne peuvent arriver à sortir. En lisant ce moment, j’avais les larmes, à la limite du supportable. Et pourtant cette plume, celle qui t’écrit la résistance obstinée de l’enfant, sa poésie aussi, oui, sa poésie, parce que Duke a son langage, son propre sens de la formule.

« Ce qui est étrange avec la fin de mon enfance et la disparition du nid c’est que ça m’a beaucoup intéressé de faire le parallèle parce que c’était l’horreur mais au fond c’était notre paradis et rien n’a été mieux que cela (…) »

Duke va quitter la Colline aux loups pour y rejoindre une famille d’accueil, aimante. Mais est-ce suffisant pour effacer cette horreur ? pour éloigner le Démon ? pour pallier au « nid »? Agrippée je l’étais aux pages, parce que Duke y montre sa troublante sincérité, sa part de sauvage, d’impitoyable et d’émerveillé. Rien n’est blanc, rien n’est noir et comment se construire dans ce fatras de chairs, de désamour et de violence? Duke s’agrippe aussi, traverse, renverse, se relève, échoue, réussit, combat, se blesse, le sait, tente encore.

Dimitri Rouchon-Borie a été chroniqueur judiciaire durant dix ans, dix années durant lesquelles il a du en observer des Duke durant leur procès, a dû y reconnaître la peine, la vengeance, la résilience impossible, la saleté d’une vie, parce que dans « Le démon de la Colline aux loups » cela te saute à la cervelle. Puis Duke se ressuscite à lui-même, lové dans la nature. Alors, tu as, dans cette noirceur éclatante, des éclats de vie, des joyaux qui te racontent toute l’ambivalence de ces vies brisées.

« Dans la nature je pensais que tant que la chaleur était là le Démon ne pouvait rien faire j’étais dans l’origine des choses et rien de plus rien de moins que toutes les autres créatures et les fleurs et les herbes.(…) Au bout d’un moment la conscience des choses disparaît elle est absorbée on ne sait pas ce que l’on est mais on est et c’est pas plus compliqué que ça.(…)Là où il y avait une couleur il y en a cent et là où il y avait un son il y en a mille. Et plus je recevais ces détails comme des cadeaux plus j’en cherchais de nouveaux et plus je m’enfonçais dans les plis et les replis de l’univers et j’oubliais tout (…) »

« Le Démon de la Colline aux loups » te raconte la condition humaine d’un être enfermé dans le noir. Il te dit tout Duke, ça t’écorche le cœur, tu pleures, tu auras envie de le serrer dans tes bras, et puis non, et puis si. C’est un premier roman et… quelle plume! quelle prise à partie! quelle prise de risque! Un uppercut l’histoire de Duke.Tu comprendras, c’est un coup de cœur et j’aimerais que tu ailles à sa rencontre, la boîte à pulsations bien accrochée et l’esprit ouvert à l’aventure littéraire.

C’est du grand.

Fanny

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